Il y a 14 mois, la chair de ma chair, le sang de mon sang, aka mon fils s’est pointé un beau matin (je déconne, c’était 16 heures et quelques, après 22 heures de contractions, rien n’était beau dans la matinée, la douleur me faisait ressembler à Mickey Rourke dans The Wrestler et ça sentait, déjà, le gel hydroalcoolique).
Immédiatement, on s’est fait la promesse -bancale- que chaque jour de sa vie serait une fête, qu’on trouverait des souvenirs à lui construire dans chaque instant, que tous ses lendemains seraient rêvés dans l’attente de nouvelles découvertes. On voulait faire rimer son enfance avec nature et culture, amour et eau fraîche, insouciance, cabane dans les arbres, apprentissages socio-musicalo-éthiques. La vie quoi !
Et puis un pangolin … Enfin, vous connaissez l’histoire! Et des mesures qui, définitivement, n’ont pas été prises par quelqu’un qui avait un enfant en bas âge. Je m’explique.
Le couvre-feu
Interdire les sorties nocturnes a mis un gros coup dans ma jauge d’angoisse. Quand, malgré sa perfection, ton bébé fait des nuits qui ne sont absolument pas les tiennes et que, comme il n’arrive pas encore à faire des phrases avec sujet, verbe et COI, ou qu’une incisive a décidé de se pointer à 2 heures du mat’, il peut lui arriver de pousser une gueulante. Dans ces cas-là, la solution facile et agréable réside dans le fait de faire les cent pas dans la rue. Comme face une formule magique, l’enfant devient soudainement rieur et fait des regards langoureux aux réverbères qui illuminent sa nuit. Alors, devoir dire adieu aux trottoirs dès 21 heures a eu comme un goût de pleurs lancinants, de haine de la part de nos voisins et de double-dose de Doliprane en suppo (ceci est faux, nous n’avons pas drogué notre fils pour calmer les cris qui n’étaient pas en lien avec les dents, rappelez la DDASS) !
La fermeture des cafés
Avec un enfant, il se peut que ta vie sociale se voit quelque peu réduite (anéantie!). Il se peut également que tu sois quelque peu fatigué.e (exténué.e, à deux doigts de la sénilité!) à force de devoir être en vigilance constante et devoir « animer » les journées de ta progéniture. Ton havre de paix n’est donc plus ton lit ou ton canapé, mais bel et bien les terrasses de café. Et oui Jamy ! Ton enfant étant hypnotisé par les va-et-vient des passants, par le bruit des voitures qui lavent les rues (oui, tu te retrouves au café à 6 heures du matin, forcément) et par les pigeons, tu as donc le temps de dormir les yeux ouverts, de boire un café chaud (chose impossible chez toi, RIP les tasses moisies oubliées au fond du micro-ondes) et d’avoir des rapports sociaux avec des adultes, à savoir les serveurs, les nonagénaires et les éboueurs : les terrasses de café à 6 heures appartiennent à un microcosme dans lequel j’ai décroché mon ticket d’entrée.
L’annulation de tous les événements culturels
Alors là, l’épée de Damoclès qui flottait au-dessus de ma frange a fini en chute libre. Pas de concert, pas de spectacle, pas d’expo… A ce moment-là, je me rends compte que l’objectif d’avoir un gamin avide de culture va être plus compliqué que prévu, qu’il va falloir revoir à la baisse mon projet consistant à ce qu’il connaisse par coeur une pièce de Ionesco avant ses un an et qu’il saura certainement dire « spectacle » avant d’en avoir vu un, ce qui signifie qu’on ne passera pas par cette période tant rêvée du « pestacle » (qui aurait pu faire péter mon nombre de likes sur une publication Instagram, soit dit en passant).
En plus, comme on fait partie de cette catégorie très chiante de gens qui interdisent les écrans avant 3 ans, c’est pas pour maintenant qu’il pourra se la raconter avec des citations de Pierrot Le Fou, de Citizen Kane, de La Leçon de Piano, de Dirty Dancing (ben oui, faut bien que je lui lègue des savoirs… Tu n’as pas besoin de courir le monde après ton destin comme un cheval sauvage, merde !).
J’ai bien tenté de lui refaire des concerts dans notre salon. J’ai enchaîné Bowie, Billie Holiday, Supertramp, un peu de K-Maro on ne va se mentir. Bon, ben clairement, quand t’as pas le charisme, un nourrisson est capable de s’en rendre compte. Il est même apte à hurler à la mort en entendant des fausses notes et à se foutre clairement de ta gueule face à des chorégraphies assez dyspraxiques (on remercie quand même Endemol d’avoir mis tous les primes de Star Ac’ sur Youtube, Kamel Ouali on t’aime!).
Manque d’expo (manque de pot, tu l’avais?), je me suis dit : On va faire de cet enfant un artiste ! Il n’a encore aucune inspiration picturale, on sera sur de la créativité brute et immaculée de tout emprunt idéologique (je me suis un peu mise à parler comme André Manoukian pendant le confinement, à vérifier que ça ne fasse pas partie des symptômes de la Covid quand même). Résultat, il a mangé la peinture. Pour être entièrement sincère, j’ai ri. Le type a 4 dents en tout, et ben, sur ce coup-là, il a réussi à en avoir une rouge et deux orange.
Pour ce qui est des spectacles vivants, j’ai tenté de lui faire des marionnettes avec des gants de toilette… C’était tellement pathétique que je n’en dirai pas plus.
Donc, oui, bien sûr, on sait que c’est compliqué cette période pour celles et ceux qui bossent dans la culture. Évidement, votre situation est à plaindre. Bla, bla, bla, bla. Mais les gars, ça va quoi. C’est bien beau de vous inquiéter pour vos statuts d’intermittents, de répéter que la culture est essentielle. Bla, bla, bla. Vous allez m’faire chialer. Non mais redescendez deux secondes hein ! Vous n’avez pas le monopole de la plainte.
Merci de penser un peu aux gosses en bas âge qui croient depuis un an que la culture c’est ça : des parents qui chantent faux, déguisés avec un slip de bain sur la tête, éclairés par une ampoule Lidl en guise de spotlight, récitant des dialogues entiers d’Armageddon !
Alors, c’est qui les plus à plaindre ?
Écrit par Channel Roig